Le récit de Sébastien Guex
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Dans les banques suisses, le silence est d'or

Sacralisé en 1934, le secret bancaire a fait de la fédération helvétique un gigantesque coffre-fort (quasiment) inviolé depuis. Par ici les valises...


Tout commence par une descente de police, le 27 octobre 1932, dans un appartement loué, Hôtel de la Trémoille, par l'une des plus grandes banques suisses de l'époque, la Ban­que commerciale de Bâle (BCB). Les inspecteurs sont loin de se douter alors des répercussions de leur perquisition. Rien de moins qu'un scandale national, une crispation des relations diplomatiques franco-suisses et le vote d'une loi bétonnant pour des décennies ce monument national helvète qu'est le secret bancaire.

Excusez du peu. Ce jour-là, les inspecteurs tombent, il est vrai, sur une mine : des listes contenant les numéros de compte et les noms d'un bon millier de Français qui ont placé une part de leur fortune de l'autre côté des Alpes, en omettant de le signaler au fisc. Fatale négligence.




Gotha mondain
Comme un air de déjà-vu, la France est alors confrontée à de sérieuses difficultés économiques. Contraint à une cure d'austérité, le gouvernement de centre gauche du radical Edouard Herriot tolère mal l'évasion fiscale et cherche un dérivatif au mécontentement de l'opinion publique : la chasse aux fraudeurs fera l'affaire.

La descente de nos pandores n'est donc pas tout à fait le fruit du hasard, même si la saisie des listes de la BCB relève, elle, de la pêche miraculeuse. « L'ampleur de la fraude était gigantesque, raconte l'historien suisse Sébastien Guex, environ 2 milliards d'actuels francs suisses,1,7 milliard d'euros. » Et, surtout, ces listes réunissent « le gotha mondain de l'époque. »



Un inventaire à la Prévert de la classe dirigeante : d'anciens ministres, trois sénateurs, un député, une douzaine de généraux, des patrons de journaux, de prestigieux capitaines d'industrie et même... deux évêques. Rapidement l'affaire s'ébruite. Le 10 novem­bre, à l'Assemblée nationale, le député socialiste Fabien Albertin révèle une dizaine de noms soigneusement sélectionnés.

Effet garanti. La presse s'enflamme. Le gouvernement, lui, s'active. Il gèle les avoirs de la BCB en France, place deux de ses dirigeants en détention, exige l'envoi d'inspecteurs au siège de la banque à Bâle et présente une demande d'entraide judiciaire au Conseil fédéral suisse. De l'autre côté des Alpes, la réplique est contrastée. Sans équivoque du côté des autorités, qui rejettent la demande d'entraide. Plus hésitante à la BCB, qui envisage un temps de satisfaire aux exigences des Français en échange du déblocage de ses avoirs et de la libération de ses dirigeants. L'épisode fait frémir l'establishment financier helvète et provoque une fuite des capitaux dans l'autre sens.



Quoi, l'accueillante Suisse, refuge discret des fortunes d'Europe, ne serait pas aussi sûre qu'imaginée ? Les épais murs des banques de Genève ou de Berne pas suffisants pour protéger les précieux dépôts de l'inquisition d'un gouvernement étranger ? Insupportable. La valeur du secret bancaire tient à son étanchéité, une seule fuite et c'est toute la confiance qui s'évapore.


Histoire du secret bancaire
Le gouvernement suisse se charge lui-même d'écrire l'épilogue de l'histoire. Le 8 novembre 1934, il fait adopter une loi sur les banques, dont l'article 47 verrouille à double tour le secret bancaire. Il est désormais pénalement interdit à une banque suisse de divulguer la moindre information concernant l'un de ses clients sous peine d'amende ou d'emprisonnement. Plus fort encore, en cas d'infraction, les poursuites sont automatiques, même si la partie lésée n'a pas porté plainte. Le message à la riche clientèle étrangère est clair : à l'avenir, le secret bancaire helvète sera aussi inviolable que ses coffres.
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