Exercice de compréhension écrite
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  Louis Keumayou : "On devrait reparler du vote des étrangers en France et évoluer vers cet objectif"
 

Premières impressions

D 'abord correspondant du quotidien camerounais d'opposition Mutations (Yaoundé) puis, depuis 2003, de son concurrent Le Messager (Douala), Louis Keumayou est installé à Paris depuis 1999. Son pays est dirigé par Paul Biya depuis 1982.


Quelle image aviez-vous de la France avant d'y arriver pour la première fois ?

La France était pour moi, d'abord et avant tout, l'une des deux anciennes puissances coloniales de mon pays. Ancien protectorat allemand, le Cameroun a été divisé entre la France et la Grande-Bretagne à l'issue de la Première Guerre mondiale. Le Cameroun français a obtenu son indépendance en 1960 et le Cameroun britannique a été scindé en deux parties : le Nord s'est uni au Nigeria et le Sud à l'ex-Cameroun français.

Je n'avais pas une image négative de la! France où, à mes yeux, les droits de l'homme et la liberté d'expression n'étaient pas des mots tabous. J'appartiens à la génération étudiante qui, en 1990, a entendu avec beaucoup d'enthousiasme le discours de La Baule du président Mitterrand. J'ai vraiment adhéré à sa position : conditionner l'aide de la France à la démocratisation des pays africains. 

J'étais également imprégné des propos que me tenaient mes parents à propos de la mainmise de la France sur la politique des pays africains, l'ex-mère patrie dont les livres d'histoire évoquaient "nos ancêtres les Gaulois", etc.

Mais en 1998, Zinédine Zidane et toutes les étoiles africaines de l'équipe de France – les Maghrébins, les Noirs d'Afrique subsaharienne, des Antilles, etc. – se battant pour le drapeau français, sans tenir compte de leurs différences de peau ou de religion, m'avaient conforté dans l'image d'un pays ouvert sur l'extérieur et respectueux de ses minorités.

Vous souvenez-v! ous de vos toutes premières impressions sur la France, lors de! votre première visite ?

Je suis arrivé en juin 1999 en autocar, en provenance de Kiev, en Ukraine, où j'avais poursuivi mes études universitaires, après Douala, la capitale économique du Cameroun. Endormi après Strasbourg, je me suis réveillé à l'entrée de Paris, très impressionné par les embouteillages, la circulation, puis le Stade de France, magnifique. J'arrivais enfin dans la Ville Lumière dont j'avais tant entendu parler dans ma jeunesse et tant vu, à la télévision au Cameroun, via le câble. J'allais assouvir une immense curiosité.

J'ai été très bien accueilli, d'abord à Radio France International, où j'ai fait un stage de six mois, puis au Centre de formation professionnelle des journalistes.

 


Bonnes et mauvaises surprises

Qu'est-ce qui vous a agréablement surpris dans ce pays ?

Le tissu associatif français, dense et étoffé, est très révélateur d'une volonté de solidarité avec les autres, d'une générosité. Le volume de l'aide récoltée à l'occasion du tsunami, cet élan populaire à aller spontanément vers les autres en cas de catastrophe, m'impressionne. J'apprécie cette attitude.

En avril 2002, j'ai vu la population descendre dans la rue après le premier tour de scrutin, à l'issue duquel Jacques Chirac était opposé à Jean-Marie Le Pen, ce qui m'a rassuré.

La police commet des bavures, on le constate. Mais, en ce qui me concerne, je ne peux pas dire que j'aie subi en France, jusqu'à présent, une quelconque manifestation de racisme.

Comparée à l'Ukraine très raciste, la France est le paradis. Il n'y a pas de commune mesure. A Kiev, chaque fois qu'une patrouille de policiers passait, c'était pour moi, Noir ! Je ne pouvais absolument pas, comme ici, sortir sans mes papiers.

Par quoi avez-vous été déçu ?

En fréquentant des confrères journalistes, je me suis posé un certain nombre de questions. Le Collectif Egalité m'a en particulier ouvert les yeux sur le peu de place accordée aux Africains dans le paysage audiovisuel, ou dans la vie publique française en général. Et j'ai fait le constat suivant : des journalistes quittent leur pays d'Afrique parce qu'ils ont des problèmes de liberté d'expression et sont brimés. A ce titre, ils deviennent des "héros" de l'opposition en quelque sorte, dans leur pays. Mais, arrivés en France, la plupart d'entre eux sont obligés de se reconvertir dans d'autres secteurs qui n'ont rien à voir avec leurs compétences initiales. Le marché du travail est bouché pour tout le monde, mais les Noirs le ressentent plus particulièrement, parce que les journalistes noirs dans la presse écrite, à la radio, à la télévision, restent rares.

Vous ne vous étiez pas rendu compte de cette relative absence quand vous étiez au Cameroun et que vous regardiez les chaînes françaises ?

Non, je n'y prêtais pas attention. Ici, je me rends compte de ce déficit de représentation, tout aussi flagrant au sein de la classe politique, sauf peut-être un peu chez les Verts. A priori, les partis politiques devraient précisément favoriser une représentation équitable de toutes les couches sociales et de toutes les composantes de la société. On devrait reparler du vote des étrangers en France et évoluer vers cet objectif, afin de responsabiliser davantage les étrangers dans la vie politique.

Sur un autre plan, la tendance à se mettre en grève à tout bout de champ en France, à paralyser les transports en commun, à recommencer l'année suivante sans qu'on comprenne trop pourquoi la grève avait été arrêtée l'année précédente, m'a aussi surpris. 

Pensez-vous que les employés du service public soient des enfants gâtés ?

Je suis très partagé. Les gens travaillent. S'ils en demandent un peu plus, c'est qu'ils le méritent bien. Certes, comparé à l'Afrique, tout le monde occidental est gâté.

Cependant, une partie du mouvement syndical m'apparaît avoir une position assez ambiguë. On ne peut pas aller à une négociation et ne rien vouloir, lâcher. Si chaque partie ne lâche rien, on ne peut pas dire qu'il y ait négociation. Voilà qui me paraît étonnant en France. D'autant que les employés de la RATP ou de la SNCF, par exemple, ne m'apparaissent pas comme les plus mal lotis du pays. Ils ont même presque un traitement de faveur.

D'un autre côté, si ce sont des manifestations qui visent à améliorer les conditions de travail, voire le rendement même, on peut les comprendre. Mais pour moi, les grèves déclenchées parce qu'un conducteur ou un chauffeur de transport public a été agressé sont incompréhensibles.

 


Que pensez-vous de la place de la France dans l'Europe et le monde  ?

Je souhaiterais que la France s'épanouisse davantage, qu'elle tienne mieux compte de l'espace francophone qui l'entoure et qui la porte. Le fait que la France n'intègre pas suffisamment cette donnée laisse croire qu'elle a un peu honte de son passé, de cette partie de son corps hors de l'Hexagone. L'avenir de la francophonie réside dans une identité assumée des uns et des autres : au Cameroun, on est souvent trilingue : le français, l'anglais, et les langues locales comme le peul.

La barrière du visa est réelle entre la France et les pays africains. Dans mon pays, la tendance reste à chercher à aller étudier en France, mais les files d'attente sont très longues. Le processus est moins lourd et complexe pour aller dans des pays comme la Grande-Bretagne, l'Allemagne, la Belgique, l'Italie et le Canada.

La France n'arrive pas à couper le cordon ombilical avec un certain nombre de dirigeants africains, au pouvoir de longue date. Elle n'est pas allée jusqu'au bout du discours de La Baule. En encourageant ses partenaires de la zone CFA à aller vers une autonomie plus accrue sur les plans monétaire, militaire et diplomatique, car ce qui était bon sur le plan bilatéral au moment des indépendances peut être rediscuté 40 ans après, les hommes et le contexte international ayant changé depuis le temps. C'eût vraiment été une grande réussite pour la France. Pour qu'on ne l'accuse plus de néocolonialisme. Aujourd'hui, ces accusations récurrentes rendent son discours mitigé, même s'il est plein de bonnes intentions. 

En ce qui concerne le Cameroun, Paris aurait dû avoir une position beaucoup plus ferme par rapport au respect des droits de l'homme et des libertés. Je ne pense pas que ce soit la première préoccupation de Jacques Chirac. Les liens d'amitié entre chefs d'Etat, les intérêts économiques ou stratégiques priment.

Propos recueillis par Martine Jacot pour le journal le Monde 2007

1 - Écrivez une phrase pour chacun des mots suivants : "Conditionner", "Main basse", "Maghrébin", "Poursuivre", Embouteillage", "Stage", "scrutin", "Bavure", "Se reconvertir"
2 - Écrivez une phrase pour chacun des mots suivants : "Lotis", "Bouché", "Chaîne", "À tout bout de champs", "Le cordon ombilical", "Gâté", "Bilatéral", "Récurrente", Mitigé"
3 - Et vous ! Quelles sont vos impressions de la France ?
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