Jour de fête




D'après le roman d'Alexandre Dumas " La tulipe noire" en savoir +>>

En ce moment solennel et comme ces applaudissements se faisaient entendre, un carrosse passait sur la route qui borde le bois, et suivait lentement son chemin à cause des enfants refoulés hors de l’avenue d’arbres par l’empressement des hommes et des femmes.

Ce carrosse, poudreux, fatigué, criant sur ses essieux, renfermait le malheureux Van Baerle, à qui, par la portière ouverte, commençait de s’offrir le spectacle que nous avons essayé, bien imparfaitement sans doute, de mettre sous les yeux de nos lecteurs.

Cette foule, ce bruit, ce miroitement de toutes les splendeurs humaines et naturelles, éblouirent le prisonnier comme un éclair qui serait entré dans son cachot.

Malgré le peu d’empressement qu’avait mis son compagnon à lui répondre lorsqu’il l’avait interrogé sur son propre sort, il se hasarda à l’interroger une dernière fois sur tout ce remue-ménage, qu’au premier abord il devait et pouvait croire lui être totalement étranger.

– Qu’est-ce cela, je vous prie, M. le lieutenant ? demanda-t-il à l’officier chargé de l’escorter.

– Comme vous pouvez le voir, monsieur, répliqua celui-ci, c’est une fête.

– Ah ! une fête ! dit Cornélius de ce ton lugubrement indifférent d’un homme à qui nulle joie de ce monde n’appartient plus depuis longtemps.

Puis, après un instant de silence et comme la voiture avait roulé quelques pas :

– La fête patronale de Harlem ? demanda-t-il, car je vois bien des fleurs.

– C’est en effet une fête où les fleurs jouent le principal rôle, monsieur.

– Oh ! les doux parfums ! oh ! les belles couleurs ! s’écria Cornélius.

– Arrêtez, que monsieur voie, dit avec un de ces mouvements de douce pitié qu’on ne trouve que chez les militaires, l’officier au soldat chargé du rôle de postillon.

– Oh ! merci, monsieur, de votre obligeance, repartit mélancoliquement Van Baerle ; mais ce m’est une bien douloureuse joie que celle des autres : épargnez-la-moi donc, je vous prie.

– À votre aise ; marchons, alors. J’avais commandé qu’on arrêtât, parce que vous me l’aviez demandé, et ensuite parce que vous passiez pour aimer les fleurs, celles surtout dont on célèbre la fête aujourd’hui.

– Et de quelles fleurs célèbre-t-on la fête aujourd’hui, monsieur ?

– Celle des tulipes.

– Celle des tulipes ! s’écria Van Baerle ; c’est la fête des tulipes aujourd’hui ?

– Oui monsieur ; mais puisque ce spectacle vous est désagréable, marchons.

Et l’officier s’apprêta à donner l’ordre de continuer la route.

Mais Cornélius l’arrêta ; un doute douloureux venait de traverser sa pensée.

– Monsieur, demanda-t-il d’une voix tremblante, serait-ce donc aujourd’hui que l’on donne le prix ?

– Le prix de la tulipe noire, oui.

Les joues de Cornélius s’empourprèrent, un frisson courut par tout son corps, la sueur perla sur son front. Puis, réfléchissant, que, lui et sa tulipe absents, la fête avorterait sans doute faute d’un homme et d’une fleur à couronner.

– Hélas ! dit-il, tous ces braves gens seront aussi malheureux que moi, car ils ne verront pas cette grande solennité à laquelle ils sont conviés, ou du moins ils la verront incomplète.

– Que voulez-vous dire, monsieur ?

– Je veux dire que jamais, dit Cornélius en se rejetant au fond de la voiture, excepté par quelqu’un que je connais, la tulipe noire ne sera trouvée.

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