Inventions d'écritures
Mini keyboard: ç é è î ë ê ô à ï û ü




LE MONDE ECONOMIE

1) "En France, un jeune sur quatre est au chômage"

Depuis 1980, le taux de chômage des jeunes de 15 ans à 24 ans varie de 16 % à plus de 25 %, en fonction de la conjoncture. Le pic de 25 % a été dépassé en 1984 et 1997, l'a presque été en 2006 (23,9 %) et pourrait l'être à nouveau en 2009.

D'où l'affirmation selon laquelle "un quart des jeunes Français sont au chômage". En fait, le taux de chômage désigne le nombre de jeunes au chômage divisé par le nombre de ceux qui sont en emploi ou en recherche d'emploi. Or, 60 % des 15-24 ans sont élèves ou étudiants et 6 % sont inactifs. Si l'on rapporte le nombre de chômeurs à la totalité de la génération, et non aux seuls actifs, la part des jeunes au chômage varie alors de 7 % à 10 %.
Cela dit, le taux de chômage des jeunes est supérieur à la moyenne. D'une part parce qu'il frappe fortement les milliers de jeunes sans diplôme et sans expérience, contrairement à leurs aînés, même non diplômés. D'autre part parce qu'il surréagit aux aléas de la conjoncture. Alors que 40 % seulement des jeunes sortis du système éducatif en 1993 (la "génération 1993"), en pleine récession, ont trouvé un emploi dans l'année qui suivait, ils étaient 60 % dans ce cas dans la génération 2000, au début du boum Internet. Ils sont en effet les premières victimes du gel des recrutements en période creuse et sont plus que la moyenne en contrats précaires, qui servent de variable d'ajustement.

2) "La situation des jeunes sur le marché du travail est pire en France que dans les autres pays"

En 2008, le taux de chômage des 15-24 ans était en France de 18 % et la part des emplois précaires (CDD, intérim, contrats aidés) dans les emplois qu'ils occupent était de 49 %, la moyenne de l'Union européenne étant respectivement de 15,5 % et 37 %. Sept pays de l'Union faisaient pire que la France pour le taux de chômage et six en matière de précarité. Mais attention : les jeunes en apprentissage, nombreux dans la plupart des pays du nord et de l'est de l'Europe, y sont classés parmi les actifs, ce qui n'est pas le cas des Français suivant une formation professionnelle sous statut scolaire (sans contrat de travail). La base de calcul étant différente, la comparaison est délicate.

3) "Le diplôme ne sert plus à rien sur le marché de l'emploi"

Pour trouver un emploi, mieux vaut avoir un CAP de plombier qu'un doctorat, entend-on parfois. En fait, la qualité de l'insertion est proportionnelle au niveau de diplôme. En 2007, la proportion de jeunes au chômage dans la génération 2004 était cinq fois plus importante pour les non-diplômés que pour les titulaires de masters. Cette hiérarchie se retrouve dans les autres caractéristiques de la transition entre école et emploi : durée du chômage, précarité.
L'impression d'inutilité du diplôme provient plus du contraste avec la situation de plein emploi immédiat que connaissaient les diplômés de l'enseignement supérieur lorsqu'ils arrivaient en petit nombre sur le marché du travail, dans les années 1970. Aujourd'hui, tous les diplômés peuvent connaître des situations de chômage ou de précarité lors de leur parcours d'insertion, mais de façon plus ou moins répétée et durable selon leur niveau d'étude. Selon le Centre d'études et de recherche sur les qualifications (Céreq), les inégalités d'accès à l'emploi tiennent plutôt à l'origine : les jeunes issus de l'immigration maghrébine connaissent, à chaque niveau de diplôme, une trajectoire plus difficile que la moyenne.

4) "Les jeunes ne trouvent que des emplois précaires"

Le premier emploi occupé par les jeunes de la génération 2004 était à 78 % à durée déterminée et un sur cinq était à temps partiel. Seulement 50 % de la génération 2000 a connu cette précarité, et 25 % de la génération 1984. C'est le résultat des innombrables "plans jeunes" qui, considérant les formations inadéquates aux besoins des entreprises, ont voulu donner aux jeunes une "première expérience" en incitant les employeurs à les embaucher par un abaissement du coût de leur travail... limité dans le temps, eu égard à l'état des finances publiques, et donc... pour une durée déterminée. L'effet d'aubaine a joué à plein, faisant de la trajectoire d'insertion des jeunes une succession de séquences alternant emploi, chômage et passages en "dispositif d'insertion".
Pourtant, trois ans après la sortie de l'école, les deux tiers de la génération 2004 travaillaient en CDI, et 87 % à temps complet. Mais l'entrée directe dans l'emploi et la formation sur le tas par l'entreprise qui, pour récupérer cet investissement, s'applique à conserver sa main-d'oeuvre, ne sont plus qu'un lointain souvenir des années 1970.

5) "Les diplômés ont des emplois déqualifiés"

Selon une enquête menée en 2005 par le Céreq auprès de 4 000 entreprises, 28 % des débutants recrutés sur un poste d'ouvrier non qualifié avaient le niveau bac ; 46 % des employés et des ouvriers qualifiés avaient un diplôme de l'enseignement supérieur. La très forte hausse du nombre de diplômés aurait submergé les capacités de l'économie à offrir les emplois correspondants.
Mais au bout de trois ans, montre le Céreq, le niveau d'emploi (cadre, ouvrier, employé) finit par correspondre au diplôme. En revanche, le métier ou la branche ne correspond pas toujours à la filière de formation suivie. Autrement dit, les compétences générales, plutôt que la "compétence immédiatement exploitable" tant réclamée par les entreprises, sont, à la longue, valorisées par le marché du travail.

6) "Il n'y a pas de formation professionnelle à l'université"

La situation des universitaires, trois ans après l'obtention d'un master, est un peu moins favorable que celle des diplômés des grandes écoles : 90 % des titulaires de masters lettres-sciences humaines (LSH), gestion et droit, sont en emploi, dont 73 % en CDI, contre 93 % et 91 % pour les diplômés d'écoles de commerce ; 89 % et 72 % pour les titulaires de masters en sciences et techniques, contre 94 % et 89 % pour les ingénieurs. Les lycéens préfèrent donc les filières sélectives aux universités, soupçonnées de ne pas offrir de débouchés. Historiquement, les universités ont été créées au Moyen Age pour préparer à trois professions : médecine, droit et théologie.
Elles possèdent toujours le monopole des deux premières, et la troisième a été remplacée, sous Napoléon Ier, par la préparation au métier d'enseignant, qu'elles assument toujours. En 2005, 43 % des diplômés sortis de l'enseignement supérieur en 2000 travaillaient dans la fonction publique. Les effectifs des formations de médecins, juristes, enseignants, plus des masters et licences professionnels, représentent plus de la moitié des étudiants des universités.

7) "Il y a trop d'étudiants dans les filières qui ne débouchent sur rien (lettres, sciences humaines), pas assez dans celles où l'on recrute (sciences, techniques)"
 
Jusqu'au niveau de la licence, les indicateurs d'insertion des filières tertiaires, LSH, droit et gestion, sont moins favorables que ceux des filières industrielles, technologiques et scientifiques. Au niveau master, en revanche, ils sont équivalents. Par ailleurs, le différentiel d'insertion entre "littéraires" et "scientifiques" est étroitement lié aux cycles économiques... et politiques. Les premiers bénéficient des vagues de recrutement d'enseignants, mais souffrent des périodes de restriction budgétaire. Les seconds bénéficient de la hausse de la croissance et souffrent de son ralentissement.
Un rapport de l'Académie des sciences de 2004 relativise la supposée "désaffection" pour les études scientifiques. Celles-ci représentaient 36 % des effectifs du supérieur en 1996, 35 % en 2000 et 34 % en 2004. En revanche, les transferts ont été importants, aux dépens des sciences et filières fondamentales et au bénéfice des sciences appliquées et des filières à vocation professionnelle. Ce n'est donc pas l'intérêt pour la science qui fléchit, mais plutôt la conviction qui augmente que les emplois d'ingénieurs dans le privé sont mieux payés que ceux de chercheurs à l'université...

8) "Il n'y a plus d'emploi dans les grandes entreprises ; seules les PME recrutent"

Alors que les jeunes ont tendance à rechercher le confort de l'emploi dans une grande entreprise, ce serait en réalité les PME qui auraient le plus besoin de recruter. Mais l'Insee a montré que les PME indépendantes ont, comme les grandes entreprises, détruit plus d'emplois qu'elles n'en ont créés dans les années 1990. Ce sont les PME dépendantes des grands groupes - filiales, sous-traitantes, PME indépendantes rachetées par un groupe - qui en ont créé le plus. Ce qui rend l'emploi global très dépendant, en définitive, de la santé des grandes entreprises.

9) "Le système éducatif est incapable de fournir les compétences dont les entreprises ont besoin"

Les employeurs critiquent volontiers la faible connaissance des réalités de l'entreprise dont font preuve les jeunes sortant de l'école. L'alternance serait le meilleur mode d'acclimatation des jeunes à la réalité du travail.
Mais la mise au point de formations "collant" étroitement aux besoins des entreprises présente une difficulté majeure : ces besoins évoluent rapidement, tant qualitativement - arrivée de nouvelles technologies, évolution de la demande sur le marché - que quantitativement - aléas de la conjoncture économique, sort incertain de l'entreprise (restructurée, rachetée, fusionnée...). Or, il faut de quatre à dix ans (selon le niveau) entre le moment où une demande précise est adressée à l'appareil de formation, et celui où une première promotion peut sortir sur le marché du travail.
Surtout, la réponse à cette assertion exige un débat politique sur les missions de l'école. Doit-elle former des citoyens cultivés et exercés à pratiquer la raison critique, au risque, selon ses détracteurs, de perpétuer des savoirs ankylosés incapables de répondre à la demande économique et sociale ? Ou doit-elle dispenser un savoir tourné vers des applications nécessaires à la performance économique, au risque, disent les opposants à cette idée, de vouloir former des salariés disciplinés au service d'intérêts particuliers, au détriment de la connaissance scientifique et de l'intérêt général ?
 
10) "Les départs massifs à la retraite vont régler le problème du chômage des jeunes"

La démographie française est ainsi faite que les classes d'âge les plus nombreuses, qui ont bénéficié du plein emploi des "trente glorieuses" (1945-1975), commencent à partir en retraite au moment où les classes d'âge les moins nombreuses, nées dans les années 1980, arrivent sur le marché du travail. D'où une pénurie de main d'oeuvre qui frapperait les entreprises... et soulagerait les statistiques du chômage.
Mais ce raisonnement arithmétique ne tient pas compte du fait que la situation n'est pas la même d'un secteur, voire d'une entreprise à l'autre : l'industrie automobile a certes un effectif vieillissant, mais elle recrutera moins que l'informatique, dont la pyramide des âges est plus jeune. De plus, nombre de secteurs peuvent pallier les départs par le recours aux technologies, aux délocalisations ou à l'immigration.
La nécessité d'élever le plus possible de jeunes à un niveau de formation suffisamment élevé pour qu'ils puissent s'adapter au monde mouvant du marché du travail restera encore, et pour longtemps, à l'ordre du jour.

Antoine Reverchon

Article paru dans l'édition du 19.05.09


Quelles sont les raisons du chômage des jeunes dans votre pays ?
Europaspråk France CL AB, Box 16031, 103 21 Stockholm Design:Emma